Hervé TELEMAQUE est un grand artiste contemporain. Tombé un peu dans l'oubli, il est revenu sur le devant de la scène en 2015 avec une très belle exposition au Centre Pompidou, à Paris (j'ai eu le bonheur de la voir). Depuis, les expositions se succèdent.
J'ai eu la chance de pouvoir l'interviewer par téléphone en 2012, quand je préparais une visite guidée sur l'art contemporain dans la rue à Rennes et que j'avais été confrontée à la "fresque disparue" de Télémaque. Voulant en savoir plus, j'avais réussi à entrer en contact avec lui et il m'avait accordé cet entretien téléphonique dont voici la retranscription :
Interview Hervé TELEMAQUE du 7 février 2012
Hervé Télémaque, Vous êtes né à Port-au-Prince en 1937. Arrivé en France en 1961, vous avez été associé à la figuration narrative, Quel est votre regard sur ce mouvement aujourd'hui ?
En fait, j'ai eu une relation très limitée dans le temps avec la figuration narrative, tout comme avec le pop art, d'ailleurs. Mon travail n'est pas un travail narratif mais fictionnel. La narration est trop démonstrative pour moi. Je préfère créer des fictions. La fiction est plus ''ouverte sur le mental'' et plus poétique. D'où le titre énigmatique des œuvres parfois. Je dirais que la différence entre mon travail et la figuration narrative, c'est la différence entre symbole et métaphore. Ainsi, j'ai été très impressionné par Kandinsky.
Vous avez étudié l'art à New York avant de venir en France. Quel est l'influence de l'expressionnisme abstrait, du Pop Art américain sur votre oeuvre ?
A l'époque où j'étais à New York, il n'y en avait que pour l'expressionnisme abstrait. Il n'y avait que ça dans les galeries de New York et dans les musées. Le pop commençait à peine aux Etats-Unis quand je suis parti en France. On trouve des petits éléments pop dans mes œuvres mais c'est d'une inspiration française. L'expressionnisme abstrait était assez bouché à cause du caractère répétitif. La théorie surréaliste de l'inconscient, en jeu dans ce mouvement, a abouti à une sorte de production mécanique. L'expressionnisme abstrait a quelque chose de figé, une sorte de fixité, de monotonie, qui m'a toujours embarrassé. Dans ma pratique, je change souvent de moyen (dessins au fusain, marc de café, peinture, etc) parce que je me fatigue assez vite.
Ça me fait penser à Claude Viallat qui ''répète'' le même motif de graine depuis les années 60.
C'est une très bonne opposition. je suis plutôt à l'inverse de Claude Viallat ! A propos de Claude Viallat, un jour, j'ai demandé à Pincemin (Jean-Pierre Pincemin) ''Pourquoi Claude Viallat n'en finissait pas avec son motif que j'identifie comme un cercle altéré ? La planète est remplie de signes variés, pourquoi celui-là ?'' Pincemin m'a répondu : ''Il te répondra c'est comme les femmes, pas la peine d'en changer, ce sera toujours pareil !''
Les "haricots" de Claude Viallat.
Concernant le Bleu de Matisse : Beaucoup d'oeuvres d'art contemporain installées dans la ville de Rennes s'inspirent de l'histoire de la ville. Concernant votre oeuvre, de quel ordre est ce lien (s'il y en a un) ?
Il n'y en a aucun, sinon un lointain rapport de la Bretagne avec l'Atlantique et les Caraïbes par les allusions au monde caraïbe (le bananier, la cahute) ; la chaussure de tennis que j'associe à la neige. La neige est d'un exotisme certain pour un antillais.
Quelles ont été les conditions de réalisation du Bleu de Matisse en 1982 ? Pourquoi une oeuvre de Télémaque à Rennes ?
L'oeuvre a été réalisée dans le cadre des fameux murs de Jack Lang. Il n'y avait pas de commande précise.
Lors de la disparition de la fresque, en 2009, on a parlé de ''ripolinage radical''. Comment avez-vous vécu l'effacement de votre travail ?
J'étais très fier de ce travail, au début. Et puis le quartier a évolué. Je suis venu voir sur place ; l'oeuvre était devenue immonde, invisible.
Aujourd'hui, que reste-t-il de Télémaque à Rennes ?
La ville m'a acheté un collage ''La Cible'' qui devait être exposée au Musée des Beaux-Arts. Il y a aussi 2 grands collages dans un lycée, sur l'initiative du FRAC Bretagne. La maquette du Bleu de Matisse, qui fait 1,30 m sur 1,95 m fait désormais partie d'une collection privée à Miami.
Que pensez-vous de l'art contemporain dans la rue ?
C'est un bon exercice pour les jeunes artistes !
Interview réalisée par téléphone le 7 février 2012 par Anne-Isabelle GENDROT
A lire sur le sujet : interview du Journal du Dimanche lors de l'exposition de 2015 : https://www.lejdd.fr/Culture/Expo/Heureux-qui-comme-Herve-Telemaque-a-fait-un-long-voyage-719368
Écrire commentaire