Avant, quand on me parlait d'un historien, j'imaginais un vieux monsieur (forcément !), avec une grande barbe (ben oui !) et une voix grave (en option). Et puis j'ai rencontré Gauthier Aubert en 2009 sur les bancs de la fac de Rennes 2, moi dans le rôle de l'étudiante et Monsieur Aubert dans le rôle de l'enseignant.
Voici donc un historien, ni vieux, ni barbu (et pas non plus de voix grave). Suivez-moi, je vais vous le présenter.
Gauthier Aubert, qui êtes-vous ?
Côté face : un historien en poste à l'université de Rennes 2 depuis une vingtaine d'années. Côté pile : 50 ans, marié, des enfants ....
Historien, c'est ce que vous vouliez faire quand vous étiez petit ?
Oui, aussi loin que je me souvienne. Du fait du métier de mon père, j'ai grandi dans des musées et, déjà, je préférais ceux d'Histoire à ceux des Beaux-Arts. Je garde un souvenir émerveillé d'une exposition sur les cités lacustres et d'une conférence sur la traversée des Alpes par Hannibal.
Le dimanche, en famille, nous avons écumé la Savoie des chapelles et des châteaux pendant plusieurs années. Ce sont de très bons souvenirs.
Là, c'est Gauthier Aubert qui parle et moi qui fait le pupitre lors de la réalisation de la visite guidée numérique sur les Révoltes du Papier Timbré sur Guidigo, avec l'excellent Antoine Gouritin à la technique.
Vous pouvez retrouver cette visite ici : clic !
Pour voir le travail d'Antoine, c'est par là : clic !
Rennes et vous, c'est quel genre d'histoire ?
Débarqué de Savoie en 1985 sans rien connaître de la ville et à peine plus de la Bretagne, je ne m'intéresse que très progressivement à l'histoire de Rennes, et par à-coup : au moment du bicentenaire de la Révolution, puis lors de mon mémoire de maîtrise, puis à l'occasion de l'incendie du Parlement, puis du fait de mon sujet de thèse ; celui-ci m'amène progressivement à m'interroger sur quelque chose que j'avais senti très tôt comme étant central et qui est la complexité des relations entre cette ville et la région dont elle est la capitale.
L'excellente "Histoire de Rennes", richement illustrée, est à mettre dans toutes les bonnes bibliothèques ! L'ouvrage de base si vous commencez à vous intéresser à l'histoire de la capitale bretonne. Aux Editions Apogée.
Vers 2005, Alain Croix m'embarque dans le projet d'Histoire de Rennes avec Michel Denis et Jean-Yves Veillard, et c'est à partir de là que je creuse vraiment l'histoire de la ville, que je poursuis ensuite en rouvrant le dossier de la révolte du Papier timbré et des Bonnets Rouges (1675). Puis il y a l'aventure de la revue Place Publique et, tout récemment, le livre réalisé à l'occasion du tricentenaire de l'incendie de 1720. A chaque fois, ce sont des sujets d'histoire moderne dont je piste les suites jusqu'aux temps présents en restant fidèle à l 'interrogation relative aux relations entre Rennes et la Bretagne.
Vous avez dit Saint-Malo ?
Vous semblez faire remonter votre spécialisation dans la matière rennaise à 2005 mais votre thèse de doctorat (en 2000) concerne bien l'un de nos plus célèbres notables ?
En fait, ma spécialisation rennaise remonte à 1992-93 avec ma maîtrise, et après la thèse a -vous avez raison- une forte dimension rennaise, mais elle est conçue comme une thèse régionale : j'ai fait le tour des dépôts d'archives des 5 départements de la Bretagne historique parce que les Robien avaient une vie à l'échelle bretonne, mais aussi à la recherche des autres collectionneurs et savants bretons : j'ai dépouillé des centaines d'inventaires après décès de Brest à Nantes. C'est pourquoi le sous-titre de la thèse évoque "la Bretagne des Lumières".
Après ma thèse, je mène encore des recherches sur Rennes (le parlement surtout), mais il n'y a rien de décisif, et je commence des recherches sur les historiens bretons avant de me pencher sur Saint-Malo : à la fin des années 2000, je me suis beaucoup rendu aux Archives municipales malouines mais finalement j'ai été happé par le Papier timbré ....
Gauthier Aubert lors de la séance de dédicace pour son
nouvel ouvrage sur l'Incendie de 1720 (en co-direction avec
Georges Provost), à la librairie l'Encre de Bretagne, à Rennes.
Pourquoi travailler sur un événement vieux de 300 ans ?
Toute histoire est bonne à faire ; il n'y a pas de préséance de telle ou telle période sur les autres. Ici, il se trouve que cet événement de 300 ans a durablement marqué la ville. Les modernistes de Rennes 2 se devaient de donner quelques explications sur leur ville à l'occasion de l'anniversaire du drame. Et puis, on a perçu assez vite que de nouvelles choses pouvaient être dites : sur l'incendie lui-même grâce aux recherches de David Garrioch, sur les sinistrés, sur les aspects religieux de l'événement (jamais étudiés jusque là), sur la mémoire de celui-ci et même sur certains aspects de la reconstruction.
L'incendie de 1720 à Rennes, un événement qui a tant d'importance que ça ?
A l'échelle de la planète, non, certes. Mais à l'échelle du XVIIIème siècle européen, c'est un des plus grands incendies du continent, révélateur des évolutions sociales, politiques et même climatiques du temps, suivi d'une refonte radicale de la ville selon les principes les plus modernes. Une ville des Lumières sort des cendres. A l'échelle de Rennes, c'est l'événement clef : Rennes peut enfin revêtir les habits tant rêvés d'une capitale. Et en cela, l'événement joue un rôle dans l'histoire de l'affirmation de Rennes par rapport au reste de la Bretagne.
Pourquoi avec Georges Provost ?
Nous sommes tous deux arrivés à Rennes à près au même moment, lui de l'Ouest, moi de l'Est et depuis les années 1990, nous avons commencé à croiser l'incendie au cours de nos recherches respectives, qui se trouvent être complémentaires.
Mais nous avons eu conscience assez vite que seuls, ce serait difficile, d'où la constitution d'une équipe qui a remarquablement travaillé, dans les temps qui plus est.
Avec cet ouvrage, vous avez fait le tour du sujet ?
Non, il y a encore à faire. Personnellement, j'aimerais bien approfondir la question des sinistrés.
La connaissance de l'histoire, aujourd'hui, ça sert à quelque chose ?
Vaste et redoutable question ! L'histoire a de multiples visages, du divertissement au décryptage du monde contemporain, en passant par sa mise en perspective et l'inévitable récupération politique ou commerciale. Dans ce paysage multiforme, les universitaires ont pour mission de rappeler sinon le vrai, du moins le vraisemblable, de mettre un peu d'eau froide sur le chaudron parfois bouillonnant des passions, de déconstruire les mythes et de contribuer à donner des éléments de compréhension du présent. Encore faut-il que l'on nous en laisse le temps, la tendance étant à la bureaucratisation de ce métier.
Vous lisez quoi en ce moment ?
Le livre de Clément Oury sur la Guerre de Succession d'Espagne.
Vous avez des enfants, se destinent-ils à des carrières universitaires ?
Il faudra leur demander. Pourquoi pas ?
Pour vous, les confinements successifs, bonne ou mauvaise expérience ?
Les deux. Le premier confinement a permis quelques bons moments avec la partie de la famille présente et m'a offert des plages de travail dans un calme précieux, mais il était quand même difficile de vivre tout cela en faisant abstraction des inquiétudes pour les proches plus éloignés ou vulnérables. Cela a été aussi une singulière expérience politique sur notre capacité plus ou moins forte à accepter les consignes.
Un grand merci à Gauthier Aubert pour avoir pris le temps de répondre à mes questions. Vous trouverez les ouvrages cités dans toutes les bonnes librairies et en particulier à l'Encre de Bretagne, 28 rue Saint-Melaine à Rennes.
Anne-Isabelle Gendrot (19 janvier 2021)
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