A Nantes, port négrier de première ampleur, le passé n'est assumé que depuis peu. C'est seulement dans les années 90, avec une conférence à l'université et l'installation des Anneaux de la Mémoire que la ville a commencé à communiquer sur le sujet.
A Saint-Malo, le plus célèbre des corsaires s'est distingué dans le commerce triangulaire. Robert-Charles SURCOUF (1773-1827)
Tout jeune, il va faire ses premières missions sur des navires négriers, notamment l'Aurore. On va bien tenter d'édulcorer son comportement lors du naufrage de l'Aurore mais on sait aujourd'hui qu'il n'a pas tenter de sauver les esclaves enfermés à fond de cale pendant la tempête qui détruit le navire. Que s'est-il passé exactement ? Le 17 février, l'Aurore est prête à partir du Mozambique avec à son bord 600 esclaves. Un ouragan fait s'écraser le navire sur la côte africaine. On raconte que Surcouf aurait tenté de briser les entraves des esclaves pour les sauver. Il faut imaginer la coque noyée et les esclaves attachés au fond. En fait, on va proposer de libérer les esclaves mais l'équipage va s'y opposer par peur de la mutinerie. On va sauver finalement surtout des femmes des enfants. Surcouf n'a pas d'action héroïque dans ce naufrage.
En 1800, à bord de la Confiance, Surcouf parvient à prendre d'assaut le Kent, presque 3 fois plus gros que son navire !
Il fera plusieurs campagnes sur des négriers. A cette époque (la fin du XVIIIème siècle), on s'embarque sur des navires corsaires, ou des négriers ou des bateaux de commerce indifféremment.
A son retour définitif à Saint-Malo en 1809 (il s'est marié en 1801), Surcouf va être le principal armateur de navires négriers à Saint-Malo, où l'activité négrière sera toujours cependant bien inférieure aux autres ports français (Les Malouins sont déjà bien occupés avec la pêche à Terre-Neuve, le cabotage et la Course).
Robert Surcouf fut un marin exceptionnel et un armateur avisé qui laissa une fortune à ses héritiers. Duguay-Trouin, par exemple, malgré ses prouesses (la prise de Rio de Janeiro!), mourut fauché !
Dès la mort de Surcouf, la légende s'est emparée de sa biographie. Charles Cunat, son contemporain et biographe en est en grande partie responsable. Roger Vercel en 1943 écrit : « Surcouf fut même de son vivant, à ce point transfiguré par l'admiration et l'enthousiasme qu'il est devenu bien difficile de retrouver son vrai visage sous l'enluminure du roman, les barbouillages des hebdomadaires puérils, les gros plans du film et les clarinettes de Planquette ».
Aujourd'hui, il est sans doute temps de rétablir les faits et de remettre Surcouf à sa place : un corsaire courageux, intelligent, prudent, malin, mais aussi un homme de son temps, un temps où la traite des noirs était une activité comme une autre, voire même une activité un peu plus reluisante que l'armement pour Terre-Neuve !
Ne démolissons pas la statue de Caravaniez de 1902 mais faisons œuvre de pédagogie en montrant ce grand homme tel qu'il était, et en le resituant dans son contexte historique.
D'ailleurs, d'une manière générale, je fais le vœu pieux qu'on arrête de raconter n'importe quoi aux visiteurs de la cité corsaire. De nombreuses légendes, pseudo-anecdotes avaient été créées pour attirer les touristes depuis la fin du XIXème siècle. Deux exemples parmi des dizaines d'autres : non, Saint-Malo n'a pas été reconstruite à l'identique après les bombardements de 1944. Et non, François-René de Chateaubriand n'a pas été enterré debout !
Anne-Isabelle Gendrot